Introduction
Le musée national de la Renaissance conserve un fonds textile particulièrement riche. Ce dernier est surtout connu pour ses tapisseries, dont la célèbre tenture de L’Histoire de David et de Bethsabée (E.Cl. 1613 à E.Cl. 1622), mais aussi pour ses broderies et ses dentelles, déjà largement publiées11. Barbier 2018b ; Exp. Écouen 2003 ; Exp. Écouen 2005 ; Kraatz 1992.. En revanche, les tissus proprement dits n’avaient jusqu’ici jamais fait l’objet d’un catalogue raisonné, alors que ceux du musée de Cluny bénéficient, depuis 2004, de l’ouvrage publié par Sophie Desrosiers22. Desrosiers 2004..
Ce projet de catalogue, initié par par Alain-Erlande Brandenburg, alors directeur du musée, avait été amorcé en 2003 par Maria-Anne Privat, alors conservatrice responsable du fonds textile, assistée de Marie-Hélène Guelton, chargée des analyses textiles au musée des Tissus de Lyon. Un premier bilan de leur travail avait été présenté en 2006, lors du colloque Paraître et se vêtir au xvie siècle au Puy-en-Velay33. Guelton et Privat-Savigny 2006.. Il avait permis de remarquer que la collection était principalement composée de velours et de damas caractérisés par des décors à petits motifs et que leur provenance était italienne. Ces conclusions résultaient des analyses techniques menées entre 2003 et 2004 sur deux cent cinquante items selon les méthodes d’analyse du CIETA (Centre international d’étude des textiles anciens)44. <https://cieta.fr/fr/>. Après quoi, ce travail est demeuré inachevé pendant presque dix ans.
À partir de 2012, il a été repris parallèlement aux opérations de récolement décennal, qui ont permis de circonscrire précisément le fonds. La collection des étoffes stricto sensu (hors broderies, dentelles et tapisseries) comprend cinq cent six pièces, principalement datées des années 1560-1630. Elle provient essentiellement du musée de Cluny, dont les collections postérieures à 1500 ont été transférées en 1977 au château d’Écouen, lors de la création du musée national de la Renaissance55. Cf. infra.. Les analyses techniques déjà réalisées ont été vérifiées et d’autres ont été menées sur les tissus non analysés entre 2003 et 2004, avec l’aide ponctuelle de Marie-Hélène Guelton. Enfin, il a été procédé à une étude comparative avec d’autres collections européennes de textiles afin de placer ce fonds dans une perspective plus large.
Au terme de ce travail de catalogage, la provenance italienne des étoffes se confirme, tout comme la prédominance de textiles destinés à l’habillement, dont une majorité de velours et de damas à petits motifs. On remarquera néanmoins un certain nombre de lampas et de brocatelles, plutôt employés dans l’ameublement. Notons, en outre, la présence d’un groupe représentatif de velours turcs, probablement issus des ateliers de Bursa ou de Constantinople.
En regard d’autres collections majeures de tissus, celle du musée national de la Renaissance apparaît particulièrement riche pour la période 1560-1630 et complémentaire d’autres fonds, comme ceux des Musei Civici de Modène (collection Gandini), de la galerie du Costume au Palazzo Pitti de Florence, de la fondation Abegg à Riggisberg, du musée des Tissus de Lyon, du musée des Arts décoratifs de Paris et du Victoria and Albert Museum de Londres. La comparaison de ces différentes collections textiles interroge d’ailleurs quant à l’histoire de leur constitution, étroitement liée au marché de l’art de la fin du xixe siècle et du début du xxe siècle. En effet, l’étude des origines révèle des provenances communes, qui expliquent la présence, dans nombre de ces établissements, de fragments d’étoffes identiques. Le cas des marchands Fulgence, fournisseurs du musée de Cluny, du musée des Tissus de Lyon et du Victoria and Albert Museum de Londres, est en cela révélateur66. Cf. infra.. Il invite à s’interroger sur notre vision actuelle du textile de la Renaissance et du début du xviie siècle, forcément liée aux choix de marchands et de collectionneurs des xixe et xxe siècles. Le présent catalogue pose également la question de la permanence des motifs à travers le temps ; ainsi, le damas E.Cl. 21204, que l’on serait tenté de dater du premier quart du xviiie siècle, pourrait tout aussi bien avoir été tissé par la maison italienne Pastori & Canossa, qui éditait ce type de motifs au xxe siècle. On n’y trouvera pas abordé, en revanche, le sujet de l’invention des dessins et de la paternité des motifs : cette matière, développée par Lisa Monnas pour les xive et xve siècles77. Monnas 2008, est complexe à élucider et nécessiterait de conduire des recherches dans les centres d’archives italiens qui ne sont pas l’objet de ce catalogue. Les datations et les origines proposées ont donc été attribuées sur critères techniques, mais aussi par comparaison avec des étoffes bien datées, conservées dans d’autres institutions, et par analogie avec des portraits peints.
Nombre de datations et d’attributions proposées restent donc des hypothèses. Les analyses techniques, malgré la méthode employée, peuvent être sujettes à améliorations. C’est ici que réside tout l’intérêt d’un catalogue raisonné numérique, ouvert et modifiable en fonction de l’avancée des connaissances. Il a également le mérite de rendre ces œuvres textiles accessibles et de les faire connaître. Il invite ainsi à la découverte d’un pan méconnu de l’histoire des arts décoratifs : celle des textiles, de leur écosystème déjà mondialisé aux xvie et xviie siècles et de la mode vestimentaire de l’époque.